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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

la rade, le paquebot qui, le lendemain, devait l’emporter. Il ne voyait que la ligne brillante des lumières de la salle à mander et les cinq feux réglementaires arrondissant un arc de cercle dans la nuit. Ces feux ainsi placés faisaient penser à la carène recourbée d’une énorme caravelle. Ils semblaient très loin les uns des autres. On eût dit encore les lumières d’un chemin sur la mer, ou les yeux clignotants d’une ville qui cherche à voir dans la nuit sombre.

Neuf heures. La terrasse était vide. Claude, allongé dans un rocking-chair, buvant à petites gorgées un whisky, ne pouvait se décider à regagner sa chambre. Il lui fallait peu d’efforts d’imagination pour se croire au bord d’une mer occidentale, quelque part entre Arromanches et Trouville, par une chaude soirée d’août. Là-bas, des vagues pareilles venaient mourir sur les plages de sable, et il ne connaissait pas assez la carte du ciel pour distinguer les étoiles qui se couchent dans l’Atlantique du Nord d’avec celles qui se lèvent sur l’océan indien. Pourtant, autour de lui, les boys Bétsimisârak circulaient, dans leurs habits blancs, sous les pankas ; les anophèles sournois volaient dans les clartés de l’acétylène. Claude eut de nouveau conscience de la terre australe perdue dans l’océan. Ses yeux cherchaient à percer l’immensité profonde de la nuit ; il songeait à l’horreur mystèrieuse de la mer, qui commençait à quelques pas, au pied de la digue : c’étaient d’abord les eaux calmes de la rade peuplées de poissons rouges ou bleus, poursuivis jusque dans leurs