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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

d’autres horizons que ceux de l’île australe.

Razane respectait ces songeries : déranger brusquement quelqu’un dont l’âme est absente, peut empêcher cette âme de revenir. L’Imérinienne soupçonnait que le double de Claude s’en allait maintenant très loin, vers les régions d’au-delà les mers, d’où venaient les vazâha. Mais elle ne s’en étonnait point : elle-même, si elle eût traversé l’Eau-Sainte, sur les grands bateaux semblables à des villes, eût éprouvé le regret de ses parents, de son village, de Iarive-la-Belle et de la Terre où reposent les Ancêtres. Elle attribuait aussi la tristesse de Saldagne à la mort de Berlier, au départ de Cosquant, à la désorganisation de la vie habituelle du petit groupe. Elle n’osait guère proposer de distractions : comment une femme malgache pourrait-elle deviner les idées bizarres qui se succèdent dans l’esprit d’un Européen ? Mieux valait suivre ses caprices que de risquer de les contrarier.

Elle se faisait seulement aussi douce, aussi patiente que possible, circulait, menue et silencieuse, dans la maison. Elle était là, quand Claude désirait sa présence, s’éclipsait lorsqu’il avait envie d’être seul. Elle ne le gênait jamais, ne faisait pas de bruit ; parfois seulement il entendait le tintement de ses bracelets entrechoqués, presque pareil au bruit que ferait la chaîne légère d’un animal familier.

Du reste elle n’avait de moments de mélancolie que devant Claude. Seule, elle jouissait de la douce vie que dispensent à tous les Imériniens le soleil et la lumière.