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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

jeté les morceaux de la dernière lettre d’amour dans le sillage du Melbourne, en vain, il avait regardé de nouveaux visages, contemplé des paysages inconnus : le fantôme de Marthe Villaret était toujours là. Le soir, en face de la mer, il songeait que ces flots étaient les mêmes qui dormaient au pied des quais de la Joliette, d’où le rail va vers Paris, et, s’il levait les yeux, pensait, à voir scintiller la Grande-Ourse, qu’une femme là-bas fixait peut-être en même temps la même constellation, que leurs regards se rencontraient dans l’espace infini. Il n’était donc pas assez loin ; il souhaitait d’avoir contourné encore longtemps le dos immense de la terre, pour naviguer sur d’autres océans, pour ne plus voir les Sept Étoiles, pour contempler la Croix-du-Sud ou la Couronne-Australe.

Après Port-Saïd, la dernière rupture commença de s’accomplir. Déjà la ville orientale, avec le grouillement pouilleux de ses mendiants, les allées et venues silencieuses des femmes coptes, à la figure barrée d’un voile fixé au front par des cylindres de cuivre, avait déshabitué ses yeux des images familières de la vie de France. Lorsque le Melbourne glissa lentement entre les berges sableuses du Canal, il eut la conscience obscure qu’il franchissait le véritable frontière acceptée jadis par les ancêtres de sa race, et sentit une séparation d’avec le passé, plus profonde qu’à Marseille.

L’Afrique et l’Asie se confondaient dans le désert monotone, malgré la limite artificielle