Page:Renel - La fille de l'Île-Rouge, roman d'amours malgaches, 1924.djvu/205

Cette page a été validée par deux contributeurs.
187
LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

Une autre fois, dans la cour de la maison, des enfants avaient attrapé un poulet et s’amusaient à le plumer vif. Razane, à quelque distance, les voyait faire, n’intervenait point. Claude en fut outré. Elle expliqua posément que beaucoup d’enfants malgaches se livraient à ce passe-temps. Puis elle ordonna à ceux-ci de cesser leur jeu, car il déplaisait au vazâha. Un moment Claude eut l’idée d’apprendre à l’Imérinienne pourquoi il ne faut pas rester indifférent devant la douleur. Mais il songea qu’à cette minute même d’innombrables êtres vivants, en Europe, bêtes ou gens, souffraient et mouraient sous les yeux et par la faute d’hommes ou de femmes de sa race. Il estima que, somme toute, il y avait moins de malheur, de misère, de peines volontairement infligées, dans l’île australe que sous le ciel des Hyperboréens. Alors pourquoi demander à la jeune Imérinienne, fille d’aïeux barbares, plus de compassion que n’en montraient les descendants de vieux civilisés ? Seulement il eut conscience, une fois de plus, d’une incompatibilité sentimentale, plus grande peut-être qu’avec une paysanne de Bretagne ou de Poméranie. S’il avait pu conserver à ce sujet une illusion, elle était due au désir de plaire de l’esclave étrangère et à la distinction purement physique de sa personne. L’habitude héréditaire de porter des cruches d’eau sur la tête donne à une femme une démarche fière et un port altier, sans influer en rien sur son développement cérébral. Pourquoi fallait-il que des jeunes hommes d’Eu-