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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

l’arrivée des Européens, ignoraient le baiser. Quelque étrange que le fait pût paraître, Claude avait été forcé d’en reconnaître l’exactitude : à Madagascar, les indigènes ne s’embrassent pas ; ni les mères n’impriment leurs lèvres sur la chair des petits nés d’elles, ni les amants ne savent et ne goûtent le charme aigu et subtil du baiser d’amour. Si la mode commence à s’en répandre par l’intermédiaire de nos ramatous, disait plaisamment Berlier, c’est une importation européenne, comme l’habitude de mettre des chaussures, ou de manger assis sur une chaise. De cette étrange découverte, Claude avait gardé impression d’une déconvenue ; elle lui gâtait l’illusion et la douceur des baisers de Razane, appris sans doute du premier de ses amants français.

La cruauté de l’Imérinienne étonnait parfois Saldagne. Dans une excursion aux environs de Tananarive, un des bourjanes, porteurs de filanzane, s’était grièvement coupé le pied au passage d’une petite rivière. Lui voulait le renvoyer aussitôt, mais la femme aux doux yeux exigea qu’il continuât à porter ; à l’étape de midi, elle considéra, impassible, le malheureux qui avec une aiguille et du fil cousait lui-même les bords de la plaie. Le soir, l’Européen s’inquiéta de lui, le pied enflait, la plaie, mal cousue, s’était rouverte. Mais Razane s’énervait de tant de sollicitude :

— Il est payé pour deux jours. Il faut qu’il aille. Tant pis pour lui, s’il a eu la maladresse de marcher sur une pierre coupante.