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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

bord du précipice et n’a de maisons que d’un côté ; de l’autre, d’anciens canons malgaches en bronze, au tiers enterrés, s’érigent de distance en distance, comme des bornes, et leurs culasses soutiennent, le long de l’abîme, des chaînes de fer. Cette traversée de la rue des Canons, à n’importe quelle heure du jour, était une joie pour Claude. L’immense paysage, au fond du précipice, délectait ses yeux ; il ne cherchait plus à voir aucun détail ni dans les vertes et déjà lointaines rizières, ni dans les îles rouges où les villages s’entourent d’une ceinture de bananiers, ni dans le chaos indéfini des monts ; mais de l’ensemble émanait une lumière indéfinissable et limpide, une sorte d’harmonie colorée et joyeuse ; elle coulait en son cerveau, apaisait sa pensée, et ce dictame était pareil à celui que versaient dans ses yeux les yeux de Zane, où flottaient, vagues et mystérieux, transmis par les yeux abolis des Ancêtres, tous les paysages de tous les temps imériniens. Quand il fixait dans ses prunelles noires et profondes son regard d’intrus, pourquoi essayait-il de discerner les choses passées que ses ancêtres à lui n’avaient jamais vues. Seuls, d’autres yeux malgaches peut-être pouvaient les percevoir…

De nouveau s’imposait à son esprit l’énigme inquiétante. Quelles forces allaient triompher, celles qu’autour de lui mettaient en œuvre la Terre et la Femme Imériniennes, ou celles qui en lui-même déterminaient encore en partie sa volonté par les reviviscences ataviques ?

Il rentra plus tôt que d’habitude. Zane l’atten-