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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

zélateurs de la foi chrétienne, de quelque secte qu’ils fussent. Il rêvait de fonder contre eux une société pour la Propagation du Paganisme à Madagascar ; il prétendait que seule la remise en honneur des cultes ancestraux pouvait contrebalancer la funeste influence des idées nouvelles sur les cerveaux indigènes, Berlier allait plus loin et regrettait que les Malgaches n’eussent pas fait comme leurs congénères des Îles Salomon.

— Le paganisme, disait-il, est toujours florissant dans ces îles heureuses. La dernière fois que j’y passai, on m’a conté pourquoi. Il y a une dizaine d’années, certaine mission protestante fit de grands frais pour évangéliser l’archipel. Par une délicate attention, on expédia autant d’apôtres que le Fils de l’Homme en avait envoyés, selon la légende, pour convertir l’Empire romain. Ils étaient six hommes et six femmes unis entre eux par les liens légitimes du mariage : on avait voulu qu’il en fût ainsi pour éviter aux serviteurs du Christ la tentation d’accomplir l’œuvre de chair avec des pécheresses indigènes. On les débarqua, vers huit heures du matin, avec leur cargaison de bibles. Le navire leva l’ancre à dix heures. À sept heures du soir, ils étaient tous mangés, bien qu’en général ils fussent maigres…

Saldagne avait dépassé la librairie évangélique et l’officine des alcools. Les bourjanes, heureux de la montée finie, couraient d’un trot allongé dans la rue des Canons. Celle-ci est au