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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

l’obscure et mélancolique conscience de l’ignorance humaine au milieu du vaste Monde. Or voici qu’il habitait cette Tananarive dont son rêve d’enfant lui avait interdit l’accès ; bien plus il s’en proclamait presque citoyen, il songeait à renier, pour la rouge Étrangère, à cause de la douceur des heures et du parfum des daturas, la vieille et rude terre boréale, mère de sa race.

Autour de lui, de pauvres cases en boue, avec des lézardes et des recrépissages maladroits, étalaient leurs misères. D’autres en briques, ouvraient sur le vide des varangues démunies de balustrades, ou des fenêtres sans vitres ni volets, aveuglées par des claies de roseaux. Sous les petites paillotes d’un marché, des femmes aux vêtements couleur de crasse, recouverts de lambas souillés, accroupies parmi les fruits, les légumes et les gâteaux de leurs étalages cherchaient des poux dans la chevelure de leurs enfants ; au milieu des marchandises saupoudrées de poussière, les gosses morveux lançaient leurs pieds et leurs mains, au-dessus tourbillonnait un essaim de mouches noires. Claude songea que tout à l’heure il mangerait peut-être des fruits achetés dans une telle boutique ; il vit, un instant, ce pauvre quartier dans sa laideur, avec toutes ses squammes. Des images surgirent d’autres coins plus sales encore, pleins de ruines, d’immondices et d’odeurs fétides, où des chiens faméliques disputaient aux cochons les détritus et les ordures. Péniblement les bourjanes achevaient la partie la plus dure de la montée. On passa devant le magasin du libraire anglais Smith, qui