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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

passé, cette lettre dissolvante pour son énergie. Il la relut une dernière fois, la déchira en tout petits morceaux qu’il jeta au vent. Il les regarda s’éparpiller ; pendant qu’ils s’envolaient comme des papillons, l’hélice puissante poussait en avant l’énorme masse du navire, tout de suite il les perdit de vue. Ses yeux déjà se fatiguaient de fixer la mer brillante. Sur le bordage il vit une petite tache humide qui s’élargissait auprès de sa main, une larme… Il se donna jusqu’à la disparition de cette larme, vite desséchée au vent du large, pour bannir toute lâcheté de son cœur. Déjà on distinguait à peine sur le bois l’endroit où elle était tombée ; quelques secondes encore, la trace en était effacée. Cette fois, le passé était mort. Délibérément, il releva les yeux, regarda vers l’Orient, vers l’avenir où l’entraînait le Melbourne, vers l’horizon clair où rayonnait l’aube d’une vie nouvelle.

On était en vue de la Corse. Le soleil perçait lentement les brumes. De hautes montagnes, couvertes de maquis, restaient noires, mais les collines dénudées, près du rivage, s’éclairaient de tons roux, en contraste avec l’écume blanche des vagues. Un arc-en-ciel s’irisa, pont gigantesque jeté vers la Sardaigne à peine visible. La côte inhospitalière se hérissait d’énormes rochers, semblables à des monstres échoués sur la plage, et couverts sans cesse par la mer d’une toison d’écume. Sur un promontoire abrupt, d’autres rocs s’amoncelaient, des murs de pierre découpaient sur le ciel leur silhouette sombre. À cette distance, Claude ne savait pas