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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

peu écartés de nous, mais dans la vieillesse les liens du passé se renoueront.

— Il en mourra, Berlier, d’ici que vous songerez à la retraite, et peut-être à ce moment-là serez-vous isolé à Tananarive autant que dans la petite ou grande ville de France qui abrita vos jeunes ans.

— Vous n’êtes pas gai aujourd’hui… C’est que vous traversez une des périodes bien connues de l’acclimatement au point de vue moral. Vous vous trouvez en pleine crise. Tout le monde passe par là, les uns à la fin du premier séjour colonial, les autres au commencement du second. Vous, vous êtes un peu en avance, et c’est bon signe, je crois, pour votre acclimatement définitif.

— Les symptômes de cette grave période P

— Ceux précisément que vous manifestez aujourd’hui… On se demande si on reviendra dans la colonie, on redoute l’enlisement dans la vie douce et facile ; toutes les voix du passé d’Europe crient des appels désespérés…

— Oui, toutes les voix du passé d’Europe… répéta Claude mélancoliquement.

Berlier le regarda d’un air étonné.

— C’est plus sérieux encore que je ne croyais. Mais vous n’êtes pas de ceux qu’on influence et vous irez seul où est votre destin.

Claude se leva et prit congé. Il appela Razane et tous deux traversèrent le jardin. Le soleil, très incliné déjà, projetait devant eux des ombres, qui s’allongeaient comme deux chemins noirs et tristes. Ils passèrent à côté du tombeau que