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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

d’abord dans son pays : il n’y connaissait plus personne. Quelques camarades de sa première enfance, vieillis dans ce trou de province, avaient trop divergé d’avec lui pour qu’il pût se reconnaître en eux. Les autres s’étaient expatriés dans de grandes cités voisines. Tous ses parents étaient morts. Rejeté par sa ville natale, plus étranger que le fonctionnaire qui du moins sympathise avec les Indigènes par tous les préjugés provinciaux, il avait donc continué sa vie errante, promenant sa mélancolie nostalgique des plages normandes à Vichy, de Paris à Florence. Il ne pouvait se consoler de la privation de lumière et de chaleur, évoquait le mirage tropical au milieu des brouillards de la Manche ou dans les vapeurs rousses des soirs de Paris. Il quitta Saint-Aubin au commencement de septembre, dès les premiers crachins de l’automne, et s’en fut chercher, nous dit-il, l’illusion du soleil à Hyères et à Toulon. Or j’ai gardé fidèlement dans ma mémoire, mon cher Berlier, l’image de ce colonial en retraite, et J’ai peur, si je m’attarde trop chez les Imériniens, de devenir comme lui.

— Mais ici, nous ne sommes plus, nous autres, des étrangers, ni des passants. Citoyens de Tananarive, de la caste des vazâhas, nous serons nombreux quand nous prendrons notre retraite, et nous nous serrerons les coudes, non seulement ceux de notre petit groupe actuel, mais quelques autres qui furent des nôtres jadis. Ils ont ramené d’Europe des femmes blanches pleines de préjugés, qui maintenant les ont un