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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

vie sociale, dans les conseils publics. Claude évoquait des visions de brousse : les cases malgaches presque toutes encloses de hauts murs rouges ; ils sont en ruines, criblés de trous et de lézardes, rongés par les érosions, béants de brèches ; ils s’effritent et s’écroulent ; mais des végétations hostiles se dressent derrière toutes les ouvertures, aloès géants, cactus difformes, ou cette plante aux belles grappes de fleurs jaunes, hérissée d’épines, dont le nom signifie qu’elle ne laisse point passer les bœufs. Ces précautions pour s’enfermer, l’indigène les garde dans l’intimité de sa vie, et quel Européen peut se natter d’être entré dans la forteresse d’une âme malgache ?

Toutes ces impressions éprouvées déjà, Claude les revivait en une espèce d’obsession, à voir danser les Imériniens en habits noirs ou dolmans blancs, impeccables de gestes, impassibles de visage, et les Imériniennes au beau sourire. Il sentait combien ce peuple, malgré les modes européennes, avait conservé presque intactes, sa mentalité et ses traditions. Par hasard il leva les yeux et vit au fond de la salle, sur le mur nu, un portrait en pied de Ranavaloune III. C’était aussi une importation étrangère, un agrandissement photographique. La reine dolente, aux yeux si mélancoliques, était debout en costume royal : la lourde couronne et le sceptre contrastaient avec le visage douloureux et nostalgique. Pourquoi ce portrait était-il là ? En cette salle appartenant à un Grec, Claude se fût attendu plutôt au roi des