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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

ropéens. Nous ne suivons pas, eux et nous, la coutume des mêmes ancêtres, d’où heurts continuels, malentendus inévitahles. Nous vivons, nous autres, avec le dédain du passé, avec la hantise de l’avenir, hypnotisés par je ne sois quelles conceptions sociales, peut-être irréalisables ! Eux, les Imériniens, se rappellent ce qui fut, ne conçoivent pas d’autre idéal que celui de leurs pères. Le mot progrès n’a pas d’équivalent dans leur langue. Ils ne s’encombrent pas non plus de nos préjugés sur la Volonté et la Force. Aucun dieu ne leur enseigne la nécessité du travail ; la naturelle paresse est restée pour eux une vertu. Leur existence facile les a rendus insouciants, doux, pacifiques, disposés à tourner les obstacles plutôt qu’à les attaquer de front. Chez eux la ruse prime la force ! Votre petite épouse a laissé voir une heure l’étrangère qu’elle demeurera près de vous. C’est extraordinaire de sa part. D’habitude elles sont plus expertes à dissimuler en toute circonstance, et il est rare qu’elles se trahissent, qu’elles écartent le masque, fût-ce devant le compagnon de toutes leurs nuits.

— Vous les aimez pourtant ainsi, Berlier ! Vous avez essayé plus qu’homme du monde, de pénétrer leur pensée ! Vous êtes arrivé, dit-on, à vivre parfois, en manière d’expérience, de leur existence matérielle et presque de leur vie intérieure…

— J’ai essayé. Qui dira si j’ai réussi ? Peut-on changer de race, comme d’habit ou de langage ? Je suis né, ainsi que vous, dans la terre des Cimmériens…