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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

Maintenant, il savait distinguer, à leur air froid et dédaigneux, les nobles Andrianes, à leurs yeux brillants et malicieux les Houves subtils, inventeurs de ruses, à leur figure bonasse et placide les esclaves apathiques. Toute une vie sociale qu’il n’avait point encore soupçonnée, avec des inégalités, des haines, des intrigues, se révélait à ses regards avertis. Il se rendait compte aussi de la résistance, sourde et entêtée, opposée a l’empiétement des Européens. Sous des dehors aimables, sous une condescendance feinte, sous une apparente facilité d’adaptation, il devinait a certains indices l’opposition presque irréductible. Partout c’était l’imitation de nos gestes et de nos modes : les femmes portaient des bottines ou des souliers Richelieu, renonçaient aux multiples petites tresses serrées aux tempes, perçaient leurs oreilles pour y suspendre des boucles d’or ; les jeunes Imériniens, employés dans les bureaux ou les comptoirs, mettaient d’invraisemblables faux cols, des chapeaux de paille importés de Marseille, des chaussures anglaises ; ils avaient appris le français chez les Missionnaires ou à l’École officielle, s’étaient laissé convertir nominalement à l’une quelconque des religions importées d’Europe en même temps que les fusils, les mœurs nouvelles, et la taxe personnelle, si lourde à payer. Mais, sous ces changements superficiels, leur manière de penser et de sentir demeurait au fond la même, aussi immuable que les énormes blocs de pierre qui recouvrent les tombeaux malgaches.