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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

a été refusé par tous les éditeurs de Paris et Jove n’a pu le publier qu’à mes frais. C’est moi qui ai versé les six mille francs qu’il fallait. En somme, c’est moi qui ai eu le prix…

Je me tus.

Elle reprit avec mélancolie :

— J’ai pris Jove sur le fumier. Il faisait partie d’une bande de faux monnayeurs quand je l’ai embauché comme secrétaire. Et il avait voulu me filer un louis faux. Au lieu de le faire arrêter, je l’ai questionné comme je viens de faire pour vous. Il m’a plu. Je l’ai gardé, quatre ans. Je lui ai payé l’édition de son livre, et, savez-vous comment il m’a remerciée ?

Il est parti, emportant mes bijoux. J’en avais, car j’ai été belle.

Et j’avais un tapis ancien de Perse dont on m’avait offert vingt mille francs. Je ne voulais pas le vendre, car je gagne beaucoup d’argent. Eh bien ! il a découpé en morceaux mon tapis ancien. En bandes larges comme ça.

Je me sentis la gorge serrée… La sorcière dit encore :

Voyez, ma chère petite, si moi, qui fais un métier qu’on méprise, je n’ai pas plus de bonté que tous les gens d’esprit. Ce que m’a fait Jove qui est un petit scélérat, ne m’arrête pas de vous offrir mon aide et mon amitié, à vous que je trouve presque aussi démunie que lui jadis.

Je vis ses yeux gonflés et pour ne pas la voir pleurer, je baissai la tête, mais sur le marbre, devant mon verre vide, deux larges gouttes tombèrent.

Je devins secrétaire de Tsarskaia. Elle m’avait indiqué un hôtel meublé dont elle connaissait le propriétaire. J’y trouvai une chambre fraîchement refaite, aérée et claire, à prix abordable. La sorcière m’avait avancé la location d’un mois.