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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

beaucoup de gens que vous douteriez voir jamais chez une sorcière…

Une curiosité me vint. Je dis :

— Qui donc ?

— Ah, petite masque, vous voulez déjà me confesser. Eh bien ! je vois souvent Moïse Bernakel.

J’eus un mouvement brusque. Bernakel était un ancien ami de ma famille. Il avait été Chef de Cabinet au Ministère des Colonies quand mon père était à Hanoï. Je revoyais cette face lourde et cireuse, cette voix de crécelle et cette prodigieuse crudité de mots qui faisait reprocher sans cesse à mon père, cet invité discourtois. Car Bernakel venait jadis dîner trois ou quatre fois par mois à la maison. La femme avait saisi mon mouvement. Elle laissa passer deux minutes et me dit doucement :

— Vous connaissez Moïse Bernakel, le Ministre ?

— Oui, dis-je. Je l’ai vu dans le monde.

— Dans le monde ? répète la sorcière d’un air dubitatif.

— Dans le monde, repris-je avec un léger agacement dans la voix, c’est-à-dire dans des salons où l’on me recevait et où l’on recevait aussi Bernakel…

Elle me fixa de ses yeux aigus. Sa bouche était devenue mince comme un fil :

— Ma petite, je ne changerai pas de façons parce que vous êtes quelque chose de bien. Je ne sais pas quoi, mais cela n’a pas d’importance.

Vous êtes fille de quelqu’un du gouvernement ?…

Je fis non de la tête.

— Je ne vous demande pas plus. Il y a peut-être danger pour moi à vous prendre comme employée, surtout si vous avez fait ou faites en ce moment une gaffe que je ne veux pas approfondir. Mais je vous aime bien. Vous êtes en ce moment malheureuse. Je pense que vous acceptez de venir travailler chez moi ?