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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

J’arrive, je sonne. Une enfant au masque abominablement ravagé de maux sanieux m’accueille. Je demande le directeur. On me reprend : « La Directrice ». J’acquiesce.

J’attends un quart d’heure et l’on m’introduit.

Je suis devant une femme de trente ans, belle et sans élégance…

Nous nous dévisageons une minute. Elle me fait signe de m’asseoir.

Enfin elle me questionne.

Je dis tout, sauf mon nom. Elle écoute avec soin. Je devine qu’elle cherche le mensonge dans mes dires. Quand j’ai fini, un silence naît et s’étend.

Enfin elle articule très doucement :

— Voulez-vous faire un travail pénible ?

Je dis oui de la tête.

— Pousser une charrette ?…

Je la regarde avec étonnement, sans rien répondre.

Elle reprend :

— Pousser ou tirer de petites voitures de livraison ?

Ma stupeur m’avertit que sans doute il y a dans cette question une sorte de procédé, un moyen de sonder les intentions réelles. J’hésite un instant. En ce cas, il faudrait dire oui et voir où cela mène. Mais je n’aime pas cette façon d’agir. Je dis sincèrement :

— Madame, je veux un travail pour en vivre. Mais je refuse tout ce qui ajouterait au labeur même un sens moral d’épreuve, une peine de supplément que je n’ai ni méritée ni surtout volonté de me laisser imposer.

La femme rit.

— Ah ! Ah ! vous gardez dans votre misère un orgueil solide. Je ne vous le reproche pas, mais il n’en est pas moins certain qu’il vous faut le perdre.