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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

Je demandai le Bottin de Paris. On me l’apporta. Je cherchai dans les rubriques bureaux de placements, dans les œuvres de bienfaisance, dans tous les coins de ce monument des activités de la ville géante. Il était possible que je fusse en mesure de trouver là un renseignement utile. Une entreprise de bienfaisance par le travail me retint. Je notai l’adresse, regardai le plan de Paris pour m’y diriger et fus satisfaite de ma recherche. Je restai longtemps devant ma tasse de café. La tiédeur de l’atmosphère, l’indifférence des gens entrant et sortant, la tranquille sérénité du lieu adoucissaient les minutes. Je me sentais plus forte que la veille, plus à l’aise, plus confiante en moi.

Il était midi quand je me dirigeai doucement vers les champs Élysées. J’allais en fait Boulevard Haussmann. Il ne fallait certainement pas se présenter avant deux heures. À une heure j’étais assise sur un banc à regarder, près de l’avenue d’Antin, les jeunes filles de mon âge, sortant des ateliers voisins, s’amuser avec de grands rires à des jeux puérils.

Je me sentais vieille et mûrie devant ces enfantillages. Et, à y songer, la plupart de ces fillettes étaient sans doute aussi malheureuses que moi. Je songe au père ivrogne, à l’amant brutal, au repas hâtif de charcuterie mal comestible, aux exténuantes journée de travail dans des ateliers sans air, à mille choses bien faites pour rendre la vie à charge. Mais elle s’amusaient pourtant toutes avec un babil et des façons qui finissaient par me donner envie de les imiter.

Une heure, une heure et demie. Je gagne le Faubourg Saint-Honoré jusqu’au croisement du Boulevard Haussmann. C’est là que se tient l’affaire ou plutôt l’entreprise — on ne sait comment nommer ça — où je me rends.