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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

ment que le besoin de changer de place sans répit est déjà une sorte de névrose et de défaite. Le soir tomba sans que rien se fut arrêté en mon esprit. Je remontais la rue Saint-Denis, à six heures, quand, presque au coin de la Rue de Clery je vis une plaque : Hôtel, chambres depuis un franc. Je pouvais donc encore me coucher ce soir-là, et peut-être le lendemain ?…

J’entrai. La patronne de l’hôtel me dévisagea avec une soupçonneuse hargne. « Vingt sous, vous ne pouvez pas… me dit-elle… — Madame, je n’ai plus que très peu d’argent… Voulez-vous me donner une de ces chambres à un franc ?… » Je revois ce bureau sentant la soupe à l’oignon, et la grosse femme mamelue en son peignoir luisant.

— Qu’est-ce que vous faites, ma petite ?

— Rien, madame, je cherche à travailler…

Elle haussa les épaules.

— Signez la fiche, tenez !

Je pris un rectangle de papier et j’écrivis mon nom en totalité : Gabrielle Anne Marie Idelette de Javilar.

La femme prit la fiche et lut trois ou quatre fois :

— Vous faites du théâtre ? me questionna-t-elle.

— Non, Madame, c’est mon nom.

Elle jeta la fiche à terre en la déchirant.

— Les Javilar, je sais ce que c’est. Mon fils était soldat à Hanoï.

— Madame, l’ancien Résident-Général à Hanoï, c’est mon père…

Elle sursauta. Oh ! Oh ! Je ne peux rien faire pour vous. Je ne sais pas d’où vous venez, ce que vous avez fait. Allez ailleurs !

Je sentais en elle un sentiment incertain de sympathie, mitigé par toutes les craintes que cultivent les hôteliers à Paris :