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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

cette population, j’avais honte… Une rage me tenait pour la seule involontaire rougeur qui me couvrait les joues. Mais je suis maîtresse de moi. Je sus me dominer. Je me souviens encore que ce jour-là, dans le bar, un homme portant des outils et vêtu d’une cotte me dit : « Mademoiselle, voulez-vous me passer, s’il vous plaît, la bannette aux petits pains ? » Je le regardai avec une stupeur si certaine qu’il en eut un sourire. Alors je lui passai la bannette aux petits pains. Je me sentais écarlate jusqu’aux oreille.

— Mais pourquoi, Idèle ?…

— Parce que cet homme avait été poli, ma chère. Je me sentais si loin de ce monde laborieux et obstiné, moi, qui errais silencieuse et hautaine sans ressources et sans espoir, en rêvant de me vendre, je me sentais si perdue que la plus petite marque de sympathie m’apportait le bienfait d’une précieuse rentrée dans la communion des êtres. Cet ouvrier qui me demandait si courtoisement les petits pains, me montrait que j’étais semblable à lui ; que, malgré tout, rien de définitif ne m’isolait. Mon petit ! dans un tel cas c’est un tonique puissant qu’une si petite chose. Je rougissais d’émotion et de joie pour m’être crue autre que je ne devais apparaître…

Lorsque j’eus, ce matin-là, bu ma tasse de café et mangé mon petit pain, je m’en allai à nouveau par les rues. Mais il fallait en venir à faire quelques chose. Je me surpris à guetter les regards des hommes qui passaient près de moi. Oui. Je me raccrochais…

— Avant de raccrocher…

…à la vie. J’entrai au square des Arts et Métiers. Je m’y assis. Le bruit du boulevard Sébastopol m’irrita, je descendis jusqu’à la Seine et vins m’asseoir près de Notre Dame. Deux heures je luttai contre le désir d’aller ailleurs. Je sentais très nette-