Page:Renee Dunan La Culotte en jersey de soie 1923.djvu/65

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
65
LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

On ne saurait dire soi-même. On remâche les événements et l’on vient sans répit buter à la situation devant laquelle on se trouve.

Alors, on cherche ce qui va arriver, et faute de le trouver, on reprend l’enchaînement des causes comme si on avait oublié un fait susceptible de donner un sens à l’ensemble. C’est une hypnose. Cela fatigue autant que de remuer des fardeaux et déprime atrocement. Quand on a ainsi pensé tout un jour, on se sent plus vaincu par cette méditation vaine que par la lutte contre les réalités.

Je me levai donc avec six francs. Le lendemain je serais réduite à quoi ? Je savais bien à quoi, parbleu, et, si l’on m’avait demandé : qu’espères-tu faire ? J’aurais répondu : « La noce ! » Mais cela, c’est le masque de cynisme sans lequel les humains verraient trop vos faiblesses. Je voulais me sortir de là sans me prostituer. Il me paraissait que le seul vrai triomphe était là. Mon Dieu ! S’il est impossible à une jeune fille de vivre sage à Paris, je ferais comme les autres. Cela ne me semblait pas immoral, étant accepté par tant et tant. Mais une déchéance m’apparaissait dans le fait que j’allais me trouver peut-être obligée de compter là-dessus pour vivre. Ici une force en moi s’insurgeait. Que faire pourtant ?

En guise de déjeuner, j’allai dans un café Biard, — vous savez, ces bars où le café, excellent, valait alors deux sous — prendre une tasse de café, debout, en grignotant un petit pain. J’avais honte. Mais j’avais encore plus de honte à me sentir honteuse. Quoi ! tant d’êtres font ainsi avec un naturel évident et trouvent cela aussi normal que chez mon père on trouvait d’utiliser quatre larbins pour le service de la table. Et moi, moi, qui n’étais, malgré mon nom pompeux, ni plus ni moins que toute