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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

À vingt mètres, sur le talus j’aperçus, en tentant de m’asseoir, quelque chose de long sur quoi on avait jeté une couverture…

Gauthier de Hastig avait été tué, le crâne défoncé comme une boîte de conserves ouverte avec un couteau.

Celui qui m’avait relevée et étendue deux minutes après l’accident passait en cyclecar avec une toute gracieuse adolescente. Ils nous avaient vus… et…

La jeune femme m’aida à me remettre debout. Miraculeusement, je n’avais rien. Je fus voir celui que j’avais choisi. Mes yeux furent secs et j’en souffris atrocement. Je m’assis près du cadavre et je priai qu’on avertit quelque part.

J’attendrais ! On ne voulut pas me laisser là…

Mais à quoi bon revivre ces heures pour lesquelles je n’ai vraiment plus de mots.

Le lendemain je couchai dans un hôtel inconnu, inerte et possédée d’une angoisse qui ne me permettait plus de savoir ce que je faisais.

On enterra Gauthier de Hastig. Ses sœurs prirent possession du petit appartement qu’il m’avait loué. Je ne disputai rien à personne.

Mon père fit faire des recherches pour savoir où j’étais. Non point dans le but de me ramener chez lui, mais pour être bien assuré que me parviendrait la lettre recommandée qu’il me fit tenir :

« Ma fille, avec Gauthier tu n’aurais été ce que tu te dois d’être que dans quelques mois, car il t’aurait su interdire un temps la prostitution. Sa mort va te permettre d’embrasser tout de suite cet état qui te convient si bien. J’ai pris parti de t’y autoriser, et, mieux, de te donner toutes bénédictions à cet effet. Tu n’est plus pour moi qu’une vagabonde de faubourg et pour commencer à te donner les habitudes qui seront les tiennes, je te prie d’accepter vingt francs, qui sont la dîme que