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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

élargir leurs pupilles pendant que sur son front passait une ride en coup de couteau…

La bête eut l’air de sauter à gauche. Gauthier balafra la route vers la droite. Nous faisions du cent-trente. Puis, car ces salauds d’animaux ont des réflexes d’une inconcevable rapidité, le danois revint en arrière. Nous étions à quinze mètres. Gauthier tourna imperceptiblement la direction, nous allions repasser à gauche, lorsque… d’un saut, le chien se jeta, en quelque façon… sur nous.

Gauthier décrivit un zigzag désespéré, mais le choc eut lieu.

On dit qu’un chien s’écrase… Quelle blague !… Gauthier ne put maintenir sa direction. Je regardais ses mains musclées et rigides. À cent trente kilomètres à l’heure, une voiture, si bien tenue qu’elle soit, appartient alors au hasard.

Nous allâmes au fossé, malgré l’effort que je vis encore clairement pour retraverser la route en oblique. La fossé était large, l’avant de la voiture plongea. Je me sentis, par une main de fer, arrachée de mon siège. Il me parut que ma tête volait seule devant moi et ma dernière sensation fut d’un étirement de tous les membres, d’une dislocation si épouvantable que tout s’abolit.

Lorsque je repris contact avec les choses, je vis le ciel, un ciel bleu, d’un bleu si profond et délicat que je me sentis une immense envie de pleurer. Puis une douleur âcre m’envahit, je me crus morte, avec le sentiment que tout s’évadait de mon être, que je me dissolvais dans le grand tout. Une voix dit :

— Elle se réveille.

Je tournai la tête. Je vis un homme jeune et attentif qui me regardait avec un grand air de pitié…

Alors je compris…