Page:Renee Dunan La Culotte en jersey de soie 1923.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

peuvent, sans s’irriter ou cyniser, vivre dans le mensonge et les haines, les cupidités et les violences, trame de toutes existences ici-bas. Comment peut éviter la misanthropie, par exemple, un prêtre auquel tant d’humains viennent confesser leurs vices, leurs crimes, et mieux : leurs pires intentions ; les tentations, dit la casuistique, qui, chez le meilleur, sont constantes et d’une prodigieuse vilenie ?… Il est assuré que j’ai gardé et cultiverai jusqu’à ma dernière diastole la haine de toutes les formes que prend le mensonge dans les âmes. Mon immoralité fut un fruit loyal et sincère du besoin de franchise.

— Ly, tu dois bien savoir que le mot morale signifie exactement mensonge dans le langage courant, en clair comme disent les spécialistes de la cryptographie…

— Oui, mais aujourd’hui, où les sociétés d’Europe sont toutes mortes ou en agonie, quand il n’y a plus que des sauvages et peut-être des anthropophages là où pensèrent les plus hauts génies parus parmi les hommes, j’avoue que le mensonge, tous les mensonges, dont on édifia ces sociétés si vite écroulées, m’apportent un regain de rancune. En somme, il y avait moyen de vivre sur terre. Mais il fallait mériter la vie et le menteur mérite surtout…

— Ce qui l’atteint aujourd’hui…

— Pêle-mêle, avec les amis de la vérité…

— Hélas !…

La cuisinière n’était pas à la maison lorsque je rentrai. Le cocher me conta, un quart d’heure plus tard, tandis que je rédigeais une sorte de « journal de bord » pour Tallurac, ce que sa femme lui faisait dire par une voisine du bourg. Appelée près d’une cousine accouchée, elle rentrerait dans la nuit, mais il était inutile de me déranger à ce propos.