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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

nord, et je me demandais pourquoi dans cette vaste maison, où il y avait des pièces convenables en nombre suffisant, Tallurac avait choisi celle-là pour y exercer son métier. Il est vrai que ce cabinet se trouvait isolé et qu’on ne pouvait entendre de nulle part le bruit de ce qui s’y passait. Mais enfin, je ne vois pas le médecin de campagne faire de la grande chirurgie dans tel lieu et il ne devait y avoir jamais foule si compacte de clients qu’on songeât épargner aux arrivants les gueulements possible de ceux auxquels on enlevait une verrue, on incisait un mal blanc ou on extrayait une molaire…

Mais peu m’importait cette question. Je ne stagnerais pas dans ce cabinet rempli d’une double odeur d’iodoforme et de pipe. Le jardin me serait accueillant. Des bancs nombreux permettaient de suivre le soleil.

Ce qui me ravissait, c’est d’avoir deux larbins empressés, une voiture et une propriété dans laquelle je régnais sans conteste. Il faut bien faire ses débuts dans le capitalisme…

Le dîner, ce soir-là, fut excellent. La salle à manger était tout de même un peu vaste pour moi seule. Je me trouvais perdue sous une suspension marchant mal qui laissait les trois quarts de la pièce dans une ombre vague. Le pas assourdi de la cuisinière rôdant autour de moi m’apportait une sorte de gêne. Je me sentais guettée par je ne savais qui ou quoi. Tout était d’un silence massif, au dehors. De temps à autre, seul, le train passant dans la campagne faisait résonner l’atmosphère et agrémentait son roulement métallique de sifflements enroués et sinistres. Au fond, les soirées promettaient de ne pas être amusantes. De plus, je n’ai jamais su parler à la domesticité. Cette familiarité un peu hautaine qui rehausse le prestige des patrons, ces façons intéressées et né-