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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

nu-tête, passer parmi les spécialistes : clients et fournisseuses de cette débauche illustrissime qui fait plus pour la renommée de Paris que les savants et les poètes. Je monte la rue Henri Monnier, je frète la rue Victor Massé et traverse la rue des Martyrs. Me voici vraisemblablement hors du cercle, d’ailleurs étroit, que l’on nomme Montmartre. Je veux dire Montmartre-plaisir.

Comme je prends la rue Condorcet, sans savoir où cela va me mener, j’entends un pas derrière moi. Un pas qui se modèle sur le mien.

Je me retourne. C’est un homme en casquette, déhanché, qui marche, les mains dans ses poches, avec le chic particulier à la fripouille des grands extérieurs…

Je ralentis. On ralentit aussi. Tiens ! Qu’est-ce que ça veut dire. On ne veut pas me parler ? Il va donc suffire que je reste dans les quartiers vivants pour que ça ne soit pas dangereux. Je devrais revenir. Mais un agacement me tient devant cette compagnie silencieuse et inquiétante…

Je m’aperçois que pour aller vers les quartiers vivants il eut mieux valu gagner le Boulevard Rochechouart ou la place Pigalle. Je m’enfonce pourtant dans des rues muettes, sinistres et menaçantes. Je me demande en marchant quel parti prendre. Hésitante et désespérée, j’écoute le pas assourdi de mon suiveur.

Soudain, dépassée la rue Rodier, j’entends derrière moi un coup de sifflet strident. Je m’arrête avec un frisson. L’homme s’est rapproché. Il vient à moi d’un pas bref :

— Allons, la môme, suis moi. Et il me prend par le bras.

Je me dégage et m’éloigne d’un pas. L’homme reste droit avec un sourire redoutable sur une face creuse et balafrée que dessine le bec de gaz proche.