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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

l’usage exclusif des gens qui vous retroussent — en dépenser deux mille. Moi je n’avais aucune ambition galante.

À dix-neuf ans, j’étais orpheline. Ma mère, sans me laisser un sou, était morte, après avoir usé et abusé de la cocaïne, et peut-être de celui qui lui vendait cette saleté. Je travaillais chez mon Espagnol, un gros homme épais tel un rhinocéros, mais habile et astucieux comme un singe. J’y étais bien vue. Je n’avais encore pas d’amant. Depuis peu de mois je me demandais où était mon intérêt, si c’était d’en posséder un ou non. Certaines de mes amies en avaient su acquérir qui leur payaient mille choses agréables et utiles. D’autres étaient plus mal loties. C’est très compliqué, ces choses-là. Le certain est que je m’étais mise à combiner des effets de toilette, et, brune, comme je suis, je me faisais une bobine de femme fatale étourdissante. Immédiatement j’avais une meute pendue à mes jupes et je guignais l’occasion favorable : le mariage, peut-être, ou quelque autre combinaison intelligente.

Cela dura tout un été. J’avais fini par hésiter entre trois postulants, Ligenne : l’aviateur, que j’ai su depuis être un simple souteneur faisant « rapporter » à ses maîtresses qu’il mettait en contact avec des vieux types trop sanguins… Agapias le journaliste, qui était terriblement intelligent. Il devait finir, dans une sale affaire où la politique, le chantage et l’escroquerie se mélangeaient d’un peu trop près. Je me méfiais de lui déjà, mais il était d’une câlinerie et d’une maîtrise en boniments captieux qui me redonnaient du goût pour lui chaque fois qu’envie me prenait de ne plus le voir. Le dernier était un vague clerc d’huissier sans faste ni dignité, toujours crotté et bafouillant. Mais je sentais en ce type médiocre une énergie et une valeur secrètes. Je ne me trompais pas, puisque