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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

prise par la jambe. D’un énergique coup de rame je me remets près du corps de Lucienne. Je prends une poignée d’herbes pour m’immobiliser et je m’aide d’un mouvement léger des jambes :

Lucienne !…

Lucienne !…

Rien ne se manifeste sur le visage qui se décolore à vue d’œil.

Elle va mourir là…

Je me sens faible comme lorsqu’on se retient de sangloter.

Lucienne !…

Je repousse d’un coup de pied le sol de la rive. Me voici à deux mètres. Je vois le corps pendant, mou, tout blême et luisant… Un corps mort ?

Je n’ai qu’une ressource, si Lucienne reste là tenue sans moi trois minutes, je vais remonter jusqu’à la crique, je passerai sur la berge, et, de là-haut, je la hisserai.

Conçue, l’idée s’exécute, je pars !

Mon Dieu, que cette eau est donc glaciale !

Je nage à plat, horrifiée, avec une imagination qui fonctionne comme une montre détraquée. Mille visions se suivent sans ordre en mon cerveau. En même temps une atroce sensation de froid me saisit par le ventre. Jamais je ne pourrai aller jusque-là.

Je lutte, tendue et obstinée. Puis, d’un coup, tout disparaît de mon cerveau. Les terreurs s’en vont, une seule les écrase :

J’ai une crampe…

Je ferme les yeux… Ais-je une crampe ?… Tout danse en moi. Dans ma cuisse droite une douleur naît, s’étend, m’immobilise, une douleur !… Je vais couler. Je vais…

D’un bras ferme je pique encore en avant dans la ténèbre de ma conscience perdue… Je ramasse une poignée de sable et je touche des genoux aux