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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

Nous sommes dans la rivière. Immédiatement on sent que la température est plus basse. J’ai un petit frisson.

Lucienne, qui me touche parfois des hanches, s’en aperçoit…

Tu as peur de l’eau, Thérèse… tu en as peur…

J’allonge une main pour lui jeter une poignée de gouttes à la figure. Elle voit le geste et s’éloigne d’une brasse, puis rit de toutes ses dents.

Elle est là, couchée sur le côté, dégageant le bras d’un geste lent et rythmique. Au ras des vaguelettes son visage frais et rose à demi reflété dans l’eau agitée est une pure merveille de grâce et de finesse. Je comprends, peut-être pour la première fois la dévotion des grecs à la forme vivante. Il faut se trouver dans telles conditions que le sentiment de la beauté se dégage seul de tout l’attirail des préjugés et des artifices.

Je vois le corps déformé à peine par la réfraction allonger une ombre flave sous l’eau grise. Les jambes ont le mouvement des algues balancées près d’une roche pendant le flux. L’épaule sort par instant comme un caillou poli et d’une couleur si tendre qu’on voudrait y mordre comme dans un bonbon.

Elle me dévisage aussi. Et je lis dans ses yeux un sentiment parallèle au mien. Elle dit :

— Thérèse, c’est joli sur l’eau un corps de brune.

— Pas tant que de blonde, Lucienne. Tu as l’air d’une divinité. On croirait, sans ton bonnet, que tu es née dans l’eau, que c’est l’élément dans lequel tu vis…

Elle se met sur le dos et glisse devant moi.

— Regarde…

— Quoi. Lucienne ?

— Ophélie…

Je remonte le courant un instant :

— Nous descendons trop bas.