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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

fatiguées à déjeuner et la peinture devenait notre jeu. Madame Biquerine était je ne sais où. Le père sondait ses asphaltes. Les gardes somnolaient car la chaleur était grande. À quatre heures moins le quart, sous couleur de demander ce qu’il nous plairait prendre au goûter, on vint de l’office nous voir. Nous peignions avec sagesse et ne voulions rien pour le moment.

Aussitôt quatre heures venues nous glissions comme des ombres par les couloirs de l’étage et bientôt parvenons dans la tourelle.

Nous descendons à pas de loup l’étroit escalier de pierre. Nous voici à la fameuse fenêtre.

Avec des précautions infinies, nous l’ouvrons. Il y a deux mètres au plus. C’est peu mais c’est encore beaucoup. Au bout d’un instant nous finissons par admettre que le lierre fait une excellente échelle. De fait, en deux minutes, avec des égratignures infimes aux mains et des vrilles de lierre pendues partout à nos robes et à nos corsages, nous sommes en bas.

Il règne un silence de mort. Nous glissons doucement vers la corne du verger. On entend les voix de la cuisinière et de Gérard qui conversent par la fenêtre de l’office.

Hop ! Nous sommes dans le verger. On se repose deux minutes à plat ventre, et épiant les alentours.

Rien ne bouge et le verger est vide. Il faut gagner le bois maintenant. Avec une prudence d’indiens Sioux nous allons, courbées en deux, et surveillant partout. Que c’est donc agréable d’être en délit ! Quelle jouissance cela doit être de faire la contrebande. Nous sommes rouges de bonheur.

Le bois arrive à nous. Cette fois nous pouvons, comme les nymphes de Corot, esquisser une danse de caractère sous la futaie. Nous y sommes. Plus de surveillants. Nous voilà enfin maîtresses de nous.