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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

ses cigarettes, entre le Caire et Gènes ! Converser d’un air aimable avec cette cour de Beys, d’Effendis et de Génois aux yeux faux, qui l’accompagnait sans répit ! Non, cela ne me chantait rien. N’avait-elle pas glissé une fois en conversation, durant les huit jours passés à la Louptière, que mon portrait avait paru enchanter un Pacha d’Alexandrie, un Pacha à une seule femme, ou plutôt qui se prétendait d’humeur monogame et n’était pas encore marié. Mon père avait fulminé contre un tel projet, en mélangeant des arguments de nationalité, d’éducation et le cours de Raffineries d’Égypte.

Donc j’étais sans joie parfaite en mon attente d’avenir. Il est vrai que rien n’est parfait ici bas. Mais nos promenades, avec Lucienne Biquerine, avaient un sérieux qu’on n’eut pas attendu de deux jeunes filles en âge de se garnir d’un époux.

Ce n’était pas encore le moment des invitations chez les Biquerine. Et comme le riche marchand de Quinquina avait ruiné, attaqué ou traîné devant tous les tribunaux les innombrables hobereaux du voisinage il ne régnait quelque vie dans la propriété qu’au moment où affluaient les fils et filles des gros distillateurs du Golfe du Lion, les savonniers Marseillais, les Huiliers de Salon — où il n’y a pas un olivier — et même les parfumeurs de Grasse, gens puissants, politiciens prodigieusement roublards, avec tous des masques venus de loin dans le passé : Barbes annelées, yeux obliques, mains étroites et nez prolongeant directement le front. C’étaient des phéniciens qui gardaient jalousement le sang oriental. Jusqu’à leur compétence olfactive isolait leur origine de notre sol. Cela rappelait le Cantique des Cantiques et les poètes asiatiques. Ils me faisaient peur. Mais en ce commencement de vacances nous étions seules et pouvions parcourir en paix, avec notre invisible escorte de gardes, tous les coins de ce pays : Cul-