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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

Avec mon amie Lucienne Biquérine, vous savez, la jeune fille du gros marchand d’apéritif : L’Amara Biquérine, nous allâmes pendant des années rêver en tous lieux cachés de nos jardins conventuels vraiment étonnants de vastitude et d’agrément. Rien de plus naturel que ce désir de s’isoler. On aime à se conter les choses les plus innocentes avec cette conviction que donne seule l’intimité. On veut éviter les regards envieux ou jaloux de certaines qui n’ont pas su ceci ou cela durant la classe ; la fréquentation de celles qui ont eu telle punition ou qui ont prononcé telle parole défendue. On fuyait cette petite de Saillyver par exemple qui disait « bougre » à tout bout de champ, ou Jeanne Bédiarigue, (le savon de Marseille : Bédiarigue frères), qui s’obstinait malgré les châtiments à dire « c’qu’on s’est marré ». Il y a bien à bavarder sur tout cela entre fillettes. Je sais que jamais avec Lucienne je n’ai conçu l’idée de gestes comme en décrivent les romanciers. Et que de fois nous nous trouvions en mesure de surveiller d’autres couples. Ils faisaient comme nous…

En vérité, on est beaucoup plus chaste dans les écoles et pensionnats que les hommes ne le disent et ne le croient. On s’écrivait, c’est vrai, entre pensionnaires et cela était sévèrement défendu. C’était le crime majeur. Je comprends très bien aujourd’hui que la dureté des punitions venait de ce qu’on craignait des suites à ces idylles. Mais cette sévérité était encore le fruit d’une imagination d’homme. Un évêque n’ayant pu supposer que de telles relations par lettres fussent innocentes…

Je n’ai jamais été pincée à écrire ni à recevoir des lettres de ce genre, mais j’en ai envoyé et reçu des quantités. C’était un jeu de formules entortillées où nous mêlions des souvenirs de corres-