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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

Sous mes chaussures fines à semelles minces le pavé du roi ne sonne même pas. Je marche doucement et délicatement. Ah ! Kate, ne laisses pas fuir le souvenir de cet instant… Tu ne retrouveras peut-être jamais dans ta vie cette dilatation de tout l’être, ce sentiment de libération, cette puissance d’une personnalité qui se domine et se proclame triomphante. Kate ! jouis de la minute ! Dans un instant ce sera du passé, et jamais, jamais plus, tu ne te connaîtras gonflée d’une joie aussi pleine…

La rue Présentine finissait.

Je regarde ma toilette. Je n’ai rien de déchiré extérieurement. Et ma petite serviette, chère compagne de la lycéenne, tu ne m’as pas quittée.

Un petit accroc à ma jupe. C’est dans cette descente par la fenêtre ! Mon pantalon au genou est déchiré et en chiffon. C’est l’autre idiot, en me prenant par là de ses mains de lourdaud. Quand je me touche à cet endroit je souffre un peu. Il a serré dur, cette brute. J’aurai des bleus. Mais qu’importe. Je remets droit ma petite toque qui n’avait pas chancelé sauf à la dernière péripétie. Allons-y ! rentrons !…

Je ne pris plus aucune précaution et passai par des rues les plus fréquentées pour aller vite. La demi-ombre me protégeait, car il n’y a que des réverbères sans gloire en ma cité, sauf aux grandes voies centrales. En peu de temps je me trouvai à ma porte. Un dernier coup d’œil sur la tenue, comme le soldat qui va à la revue, et je sonne. La bonne vient ouvrir, me dit bonsoir et retourne à son travail. Je me glisse dans le vestibule et gagne l’escalier. En un instant je suis dans ma chambre. La pendulette marque six heures moins le quart… C’est le temps que je m’étais fixé. Je ne suis pas en retard… Je me mets devant mon armoire à glace à tanguer de bonheur.