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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

peu d’ans et en sus, sous la maçonnerie du calorifère, sept cadavres féminins plus, dans une armoire, un squelette de jeune femme portant encore de beaux cheveux blonds. Quels drames à rêver ?

J’avais été hantée par cela à un degré aigu. Il est ingrat de comprendre peut-être ce que contient d’émotions imaginées une âme de fillette dont toute l’intelligence est portée vers le désir d’expliquer. Je voyais mon corps inerte et sali, jeté dans quoique citerne, en une crypte ancienne comme ce quartier devait en receler, parmi d’autres corps dont jamais personne ne connaîtrait la destinée…

Tout cela passait en moi comme une pellicule de film devant l’objectif où elle enregistre vertigineusement les choses. S’abandonner, cela, non ! Comme Ly devant le cocher de son médicastre je n’y songeai pas. Je suis d’une race provinciale de propriétaires fonciers. Durant des siècles, mes ancêtres n’ont connu d’autre joie que celle d’arrondir leur bien, envers et contre tous, contre le roi et les vilains, contre la baronnie voisine et contre les fabriques aux exigences millénaires et aux droits subtils. Ils chassaient sans répit. Le compte des loups tués par mes aïeux depuis 1700 est inscrit dans nos papiers de famille comme d’importance égale aux plus notables évènements. Les portraits que j’ai d’eux sont d’une énergie quasi bestiale malgré la fadeur des peintres choisis pour ces effigies : mâchoires de dogues, yeux durs au guet, têtes plantées comme une cariatide sur un fut puissant de colonne. Ah. ! vous savez que je ne suis pas traditionaliste et vous avez vu à quel point mon individualisme est vétilleux. Le souvenir pourtant de ces baillis et notaires royaux, de ces avocats au Parlement disputeurs et coléreux me tint devant les trois soldats comme une voûte gothique résiste par ses contreforts. Une, deux secon-