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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

seigneuriaux ou épiscopaux ensevelis dans l’ennui et le souvenir des siècles de splendeur. Je suivais lentement la rue Présentine. Le charme en était pénétrant. Devant une porte un peu plus ornée que les autres je m’arrêtai. La clouterie avait figuré jadis un blason. Chez moi l’héraldique était science familière, car mon père prétendait que nous avions été anoblis en 1578. Je lus donc cet écu, autant qu’il se pouvait encore. C’était un losange. Forme de sexe féminin, donc armoiries de vierge noble. Un pairle occupait tout le rhombe. Peut-être était-ce plutôt un roc d’échiquier. Non ! Je suivais le pal du pairle jusqu’en bas. Les ornements placés entre les cotices à peine indiqués étaient-ils des besants, des tourteaux, des anneaux, des guses, des guipes, des ogœsses, des heurtes, des pommes ou des volets ? Personne sans doute n’eut su le dire sans recherches. Mon père aurait écrit là-dessus une plaquette de cent pages et donné exactement les émaux. Mais peu m’importait à moi le souvenir de l’abbesse orgueilleuse qui sans doute avait voulu la porte basse de son couvent ornée de ses armes. Et je remuai les vers mélancoliques de Villon sur la mort de tout.

Je m’aperçus soudain que le temps passait. Le soleil devait être bien bas sur l’horizon. Le ciel devenait d’une pâleur fatiguée qui annonçait la nuit. J’eus, je l’avoue, un instant l’idée d’arrêter là mon voyage et de rentrer. Cette porte blasonnée m’avait suffisamment emplie de joie. Certes je lisais là ce que nul traité d’histoire ne saurait enseigner. Et, de même, cette rue Présentine avait une figure inoubliable, une majesté et une froideur implacable qui n’étaient pas sans une subtile signification.

Reviendrais-je ? Je m’arrêtai au milieu de la voie, heureuse de ma solitude, de ma réussite, de l’heure, de cette inexplicable sensation de liberté