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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

difficile. La pire tentation ! Personne n’avait d’ailleurs jamais songé à me défendre d’aller visiter ce coin de la ville. Il ne pouvait venir à l’esprit que jeune fille au monde ait jamais l’intention d’aller voir ça. Tout au contraire devait-on contraindre mes camarades à passer tout près de ce lieu redouté lorsque c’était leur chemin, sans quoi elles eussent fait le tour du département pour choisir une voie qui permit d’éviter la proximité de cet enfer. Mon projet en somme était neuf, absolument neuf. Il n’avait pas reçu de consécration, c’est vrai, et sa qualité d’héroïsme demeurait incertaine à cet égard. Mais je n’ai jamais eu la dévotion des préjugés de tout ordre, et moins encore des préjugés relatifs au courage. Au surplus, peut-être n’avait-on jamais conçu une expédition si audacieuse ? Et mon enthousiasme s’en trouva rehaussé d’autant.

Cependant je ne voyais toujours pas le moyen de m’absenter une heure environ de chez moi. Je jouissais de beaucoup de liberté. J’aurais pu, de toute certitude et sans gêne aucune, avoir rendez-vous avec un jeune homme si je l’avais voulu, selon la tradition amoureuse classique. C’était le moindre de mes soucis. Deux ou trois fois des frères de mes amies m’avaient glissé dans l’oreille des « je vous verrai » soit sur le chemin du lycée, soit près de chez moi dans la petite venelle qui menait au jardin sis derrière notre maison et y pénétrait par une porte basse parmi le fouillis le plus pittoresque de végétaux embroussaillés. Or, je n’avais jamais cru devoir refuser ces rendez-vous, car, bien mieux, je n’y pensais plus. Cela me passait totalement de l’esprit. Un jour, même, le frère de Lucie Barraeas m’accosta en me disant que j’avais approuvé la veille le plaisir promis de notre entretien en tel lieu. Je ne me souvenais pas même de lui avoir parlé. Et il fut très froissé de l’étonne-