Page:Renee Dunan La Culotte en jersey de soie 1923.djvu/10

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

— Tandis qu’aujourd’hui le fait est tragique trop souvent.

— Il le fut, tu veux dire, car en ce moment il est normal.

— Normal ? Il m’est impossible de trouver normale une chose que toute ma vie j’ai jugée immonde.

— Mais, amie, rends-toi compte que normal pour moi veut dire coutumier, faisant la trame de l’existence, et non pas admissible moralement.

— Il est certain que nous ne pouvons plus tenir aucun compte des morales à cette heure ; quand toutes les civilisations croulent ou vont crouler.

— Tout de même, quelle chose étrange. Nous sommes onze ici. Nous savons ce qui se passe ailleurs, ces luttes féroces de castes, de provinces, de sociétés, et de races qui finissent pas transformer l’Europe en désert. Et au milieu de ces ruines géantes, tandis que des millénaires de science et de maîtrise de soi, de pensée et de sensibilité vont disparaître, nous nous émouvons sur ces histoires enfantines de jeunes filles ayant mal débuté dans l’amour…

— Tu as tort de t’en étonner, ma chère. Je crois que de tous les malheurs humains celui-là, en sa réalité profonde, est le seul qui détourne le cours des choses et détruit, quand il détruit, irrémédiablement.

Les découvertes les plus précieuses n’ont jamais été que superficielles à l’humanité. Les Grecs et les Romains ont fait une poste aux lettres et des moyens de communication rapides qui n’étaient pas autant qu’on croit inférieurs aux nôtres. On mangeait à Rome du caviar frais venu en quinze heures des bords de la Volga. Ovide, exilé chez les Sarmates comme un politicien dangereux