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Le jour était venu. Par les fenêtres du Kissky, Pygette voyait des lumières bleues couvrir toutes choses d’une sorte d’impondérable vapeur. Déjà passaient dans les rues les voitures de livraison pour des commerces matinaux. Un ronflement sourd s’animait sur la ville et le malaise de Pygette s’accroissait sans cesse, sans qu’elle sût d’où il venait et comment réagir.

Cependant, comme ils occupaient, le Balte et elle, un coin de salle où les regards pénétraient moins, et puis, parce que la lumière luttait contre le jour, l’homme se livrait à mille attouchements amoureux auxquels Pygette plongée en ses rêves, restait insensible. Mais lui précisément trouvait là une sorte de pudeur nouvelle. Il se fût fâché que sa compagne témoignât d’une allégresse prostitulaire et sa satisfaction s’accrut à tel degré qu’il murmura à l’oreille de Pygette :

— Je te donnera deux cents marks.

Ils sortirent. Une clarté délicate, venue d’un ciel transparent, semblait vernir les choses, Il marchèrent tous deux un moment, puis, comme ils passaient devant la terrasse d’un café nocturne, d’ailleurs désert, le Balte voulut s’y asseoir. Elle accepta, lasse et muette. Du temps passa. Paris s’agitait maintenant comme une usine. Les passants sortant du lit, emmitouflés et hâtifs passaient sans cesse par troupeaux, allant à leurs travaux. Soudain comme une femme distribuant les journaux aux kiosques frôlait la terrasse, le compagnon de Pygette appela et acheta encore tout humide d’encre, le Paris-Tout du jour.

Il ouvrit, lut ça et là et dit en souriant à Pygette :

— Tiens, regarde, encore un crime par ici.

Elle jeta un coup d’œil distrait, puis, intéressée alla jusqu’au bout. Alors se levant d’un coup sans répondre aux appels du Balte, elle se sauva éperdûment.