Page:Renee Dunan Frissons voluptueux, 1927.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 13 —

salaire que leur octroie une administration tutélaire ; mais préférant servir les requins que les sardines… Pygette se garda de le détromper et bientôt tous deux furent une paire d’amis. La nuit décidément finirait bien.

Le malheur fut que le Balte voulut aller jusqu’au jour de maison en restaurant, de café en lupanar et de lupanar en mastroquet. Pygette n’y voyait en son for aucun inconvénient et mainte fois elle s’était livrée à cette tournée où sa sobriété ne risquait rien. Pourtant cette nuit-là elle sentait une sorte de gêne, une lourdeur lui écraser les vertèbres et lui serrer les poumons. Elle s’aperçut que sa face sérieuse courait dès lors risque de lui faire perdre le bénéfice de sa grâce et de son beau corps apparent sous la robe claire que cent lampes à incandescence annulaient aussi. Ainsi se mit-elle malgré soi, à rire et à plaisanter. Mieux, comme le Balte voulait danser avec elle, Pygette se résigna à l’enlacement de ce lourd gaillard raide et sanglé comme un junker et qui charlestonnait avec une élégance de rhinocéros. Qu’importe. Elle fut récompensée au vrai, elle la danseuse attitrée de tant d’Argentins vrais ou faux, d’avoir accepté d’être un moment ridicule car l’homme lui dit à l’oreille :

— Bien gentille. Je te donnerai cent marks.

Pygette était de celles qui savent les cours de toutes les monnaies étrangères. Elle avait déjà changé des marks et n’ignorait rien des avantages que le change confère à cette devise. Aussi son sourire s’épanouit-il tout à fait lorsqu’elle se pencha pour embrasser sur l’oreille, avec une apparence délicieuse de clandestinité, le gaillard rubicond qui devint d’un coup, sous le fouet de la joie, couleur même de la chemise pourpre que portait Pygette en ce moment. Alors, on se rendit au bar du Homard-qui-pète, où la java était dansée avec une perfection ignorée du reste de Paris. Puis ce fut aux Kissky, lequel se pare d’un chanteur touareg et d’un orchestre de nègres pahouins.