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LA PROIE DU FEU

Les poussait vers la flamme avec fatalité.
Je refoulai mon cœur, je me fis l’œil stoïque,
Et, sans plus déranger leur plaisir héroïque,
Je fixai ma pensée et mon regard sur eux.

Ainsi qu’au crépuscule un jeune homme amoureux,
Voyant arriver celle où son rêve se pose,
S’approche pour parler, s’approche encore et n’ose,
Près du brasier d’abord ils tournoyaient discrets,
Puis s’éloignaient un peu, puis revenaient plus près,
Jusqu’à ce que, domptés par sa puissante haleine,
De songes inconnus se sentant l’âme pleine,
Humant par tout le corps la chaleur et le jour,
Ils vinssent, dans le feu béant, chercher l’amour.
Alors, anéantis de flamme et de lumière,
Arrivés à ce point d’extase singulière
Où la mort vous saisit quand vous le dépassez,
En poudre, lentement, ils tombaient dispersés ;
Et cette poudre, au sein du feu qui la dévore,
Semblait encore aimer et frissonner encore.

Certes, ô papillons, votre sort était beau !
Mourir d’amour, avoir son rêve pour tombeau,
Cela doit faire envie à l’âme vraiment forte,