Page:Renaud - Recueil intime, 1881.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84
RECUEIL INTIME

Lorsque ne rencontrant ni village ni ferme.
Las de marcher toujours sans espoir d’aucun terme,
Ne sachant même point comment j’étais venu,
Je fis halte au milieu d’un pays inconnu.
A droite, un pré sans fin se déroulait. A gauche,
Un grand bois profilait sa gigantesque ébauche.
Comme j’avais très faim, très soif et froid un peu,
J’amassai du bois sec en tas, j’y mis le feu,
Je pris un doigt de pain, je vidai ma bouteille ;
Puis, ne voyant plus rien à quoi passer ma veille,
Près de la flamme haute à rougeâtre reflet,
Je laissai mon esprit rêver comme il voulait.

Or, tous les papillons du bois et de la plaine,
Le sphinx, le paon de nuit, l’atropos, le phalène,
Ayant l’aile de jais, d’or, de pourpre ou d’argent,
Du calice des fleurs sortaient en voltigeant,
Et venaient se brûler les ailes à la flamme.
Les voyant faire ainsi, j’en eus pitié dans l’âme
Et j’agitai ma main pour les chasser de là ;
Mais eux, vers la lueur qui déjà les brûla,
Sans cesse retournaient pour s’y brûler de même.
Et le soupçon me vint qu’un délire suprême,
Un éblouissement d’altière volupté