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RECUEIL INTIME


Je suis par la beauté l’égale des déesses ;
Ma chair a les blancheurs de la neige et du lait,
Ma chevelure tombe en cascades épaisses,
Et du vert océan mes yeux ont le reflet.

Un seul de mes regards dompte le plus farouche.
il n’est d’être si fier, de roi si près des dieux
Qui, lorsque les accords s’envolent de ma bouche,
Ne se mît à mes pieds pour les écouter mieux.

Mais à quoi bon ces biens sans nombre qu’on m’envie ?
A quoi bon ma richesse, à quoi bon ma beauté ?
A quoi bon ces accords dont l’oreille est ravie,
Si mon cœur par la mort est toujours habité ?

Si l’éternel Destin veut que rien ne m’émeuve,
Si je donne l’amour sans pouvoir le sentir,
Si, de ceux que je charme éternellement veuve,
De chaque fiancé je ne fais qu’un martyr ?

Oh ! je voudrais quitter ma royauté funeste,
Des oiseaux vagabonds au loin suivre l’essaim.
Mais la fatalité m’étreint et me dit : « Reste ! »
Il faut continuer mon métier d’assassin.