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RECUEIL INTIME


Si de toi quelque flot tente de s’approcher,
Ne crains rien. N’as-tu pas, comme l’oiseau, des ailes ?
Imite l’alcyon léger, aux blancheurs frêles,
Qui, dédaigneux du vent, dominateur des flots,
Sur la pointe d’un cap repose, les yeux clos,
De l’essor qu’il peut prendre ayant la conscience.

Dors en paix, ô mon âme. En toi prends confiance.

Ton repos s’est placé sur de trop fiers sommets
Pour que rien des bas-fonds y parvienne jamais.
Petitesses, calculs, lâchetés, vilenies ;
Tout ce qui va rampant sur les âmes ternies,
A peur, même de loin, d’affronter ton mépris.
Tout cela, dans les trous se creusant des abris,
Ne tient qu’à vivre en paix, sans chercher d’aventure ;
Tout cela ne hait rien, n’aime que sa pâture,
Ne songe qu’a fermer ses regards au danger
Des grandes visions qui pourraient déranger.

N’en prends donc pas souci, car c’est le néant même.
Sans y jeter les yeux, reste en haut, aspire, aime,
O mon âme ; cela n’a nul pouvoir sur toi.
Sans doute il est des flots dignes de plus d’effroi.