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LXXIV
PRÉFACE.


qui prend son élève en défaut, alors que ce devrait être le contraire. Comme si les contradictions n’étaient pas l'essence de notre vie ! Comme si un Journal ne tirait point sa valeur la meilleure d’être le reflet exact de la vie de qui le rédige !

On voit souvent Renard déplorer de n’être pas nanti de génie. Eh ! bien, je crois qu’on peut dire, sans restriction comme sans fausse pudeur, qu’il eut le génie de la note courte, en une ou quelques lignes. Je crois aussi que ce Journal nous révèle un Renard très différent de celui que nous proposent ses livres antérieurs, un Renard moins bridé, plus Spontané, fourmillant de mots et d’images, et qui avait, aussi bien que nos penseurs attitrés, ses idées en matière d’économie sociale, de politique et de religion, un Renard, enfin et surtout, que le rêve, le fantastique, le mystère et l’angoisse de l'au-delà bouleversaient plus souvent et plus qu’on ne le pourrait croire. Il n’a point fait de critique, littéraire ou dramatique, en professionnel, excepté pour le théâtre, dans les dernières années de sa vie. Mieux que trop de professionnels, il pouvait parler esthétique, et telles de ses brèves notes sont plus riches de substance que de longs articles.

" Je m’arrête jusqu'à ce que la goutte de lumière dont j’ai besoin soit formée et tombe de ma plume ", disait Joubert. Tout le Journal de Renard en resplendit. On en reste étonné. On est tenté de se frotter les jeux. Ces matériaux épars, plus que superflu, il serait ridicule de regretter que Renard ne les ait pas coordonnés ; il avait, très accentué, le goût du discontinu beaucoup plus que de la synthèse. D’instinct et de raisonnement, il répugnait à l’œuvre de longue haleine. Ainsi voyons-nous dispersées d’innombrables pierres, dont la plupart sont précieuses. Elles ne seraient en désordre que si elles avaient été destinées à former un édifice. Il n’en est rien. Chacune d’elles