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LXII
PRÉFACE.


se contente de les décrire pour eux-mêmes. S’il fut moraliste ce ne fut que dans son théâtre, et encore — La Bigote exceptée, — nous laisse-t-il le soin de conclure. Du moins jusqu’à ses toutes dernières années, il détestait romans et pièces à thèse. Le 8 avril 1907, il écrivait dans Messidor : " A. moins d'admettre que le théâtre soit une tribune. Çâ, jamais ! Plutôt mourir ! "

Que la disposition extérieure de ses phrases fasse penser à La Bruyère, il se peut ; mais la substance en est essentiellement différente. Qu’on songe d’abord aux portraits où le moraliste a réuni et fondu tous les traits recueillis à des dates en des endroits divers , et dont chacun concourt à donner au " caractère " sa signification générale. Renard ne fera point avec La Bruyère ce dont il s’est abstenu avec Maupassant : si conte et roman déforment la vie, il en va tout de même du portrait. Sans doute font-ils l’un et l’autre un choix des détails les plus chargés de sens, mais, alors que La Bruyère les groupe en classique du XVIIe siècle, Renard les laisse isolés en classique du XXe. Ensuite, ce ne sont pas des individus, mais des caractères, que dessine La Bruyère, et, à l’aide de traits dont chacun est emprunté à la vie la plus vécue, il réussit cette gageure de frôler l’ abstrait. Enfin, lorsqu’il use de la pensée-maxime et que telle de ses observations peut s’appliquer à beaucoup de cas particuliers, il reste dans la tradition de son temps, pour qui l’Homme seul comptait. Or, Renard ne voit que des hommes, un à un. C’en est assez, je pense, pour montrer que, psychologue établi chez les " coupeurs de terre " il n’a rien de commun avec La Bruyère, ni davantage avec les écrivains qui, avant lui, s'étaient mis au service des paysans.

9. Les paysans vus par Renard. — Je ne crois pas qu’il existe, dans toute notre littérature, un tableau comparable à celui qu’il nous a laissé de la commune rurale