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XLIX
PRÉFACE.


les grenouilles qui " se posent presse-papiers de bronze, sur les larges feuilles du nénuphar ", quantité d'autres déformations de ce genre.

Le lyrique dira : " Dans la campagne muette les peupliers se dressent comme des doigts en l'air et désignent la lune. "

Chez le réaliste ; l’image fera corps avec la phrase, j'ai cité le " ciel sans couture " ou bien la comparaison y est : " Bientôt, comme un filet d’eau alourdie par le sable, sa rêvasserie, faute de pente, s’arrête, forme flaque et croupit. "

Quelle capitale erreur commettent ceux de nos écrivains qui, usant de la prose, imaginent qu’ils en relèveront la vulgarité soit en la truffant de vers blancs, soit en la pliant tout entière au rythme de l’alexandrin ! Le vers n’est rien en lui-même. Trop souvent, des sots qui se croient poètes versent de la piquette voire de l’eau croupie, dans une coupe offensée, de pur cristal, faite pour le seul falerne, pour la seule ambroisie. Les grands sentiments généraux appellent le vers : il s’en faut que la réciproque existe. On a vu aussi, et l’on voit encore, de ces mêmes sentiments trouver coupe adéquate dans la prose de Bossuet, de Pascal, de Chateaubriand, de Renan et de Barres. Pour ceux qui empruntent au vers son rythme, plaidons-les d’être incapables de sentir et de comprendre que la prose a ses cadences propres.

Renard n’est pas tombé dans ce travers. Son rythme n’est pas celui de nos grands prosateurs : il n’en existe pas moins fortement. Il ignore le balancement du douze-huit, et la mesure à quatre temps. Le deux temps lui suffit, et, ce qui lui convient à merveille c’est le " un temps " qu’on peut dire qu’il a inventé, et qui ne convient qu’à lui. Souvent, en effet, chaque phrase, courte, emporte avec elle sa fin, sans lien apparent avec la suivante plus qu’avec la précédente. Je ne parle pas du sens. Et le point final de chacune