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XLV
PRÉFACE.


laisse longtemps troublé ". Il n’écrivit cela que quelques années avant sa mort. Ne regrettons pas trop que cette belle phrase reste presque unique dans son œuvre : y sonnant plus fréquente cette note serait moins particulière, sinon moins originale. Ainsi y pour un instant mais perpétué s’égala-t-il à René.

Il arrive même que ces trois littéraires états d’âme, selon lesquels un " œil clair " note et déforme, tout en s’attendrissant soient fondus dans une même phrase ; et c’est surtout ce qui vaut à son style cette originalité aiguë.

Il n’y a de véritable écrivain que poète. Il le savait bien, lui qui disait de Tillier ; " Les poètes lui ont donné le goût de la rêverie, de l’image qui peint ; du rythme nécessaire à la phrase, si prosaïque qu’elle soit, du mot rare qui frappe, du trait brillant qui éclaire l’idée comme un rayon de soleil perce l’ombre des feuilles " C’est à lui beaucoup plus qu’à Tillier que s’appliquent ces mots. Toujours est-il que le réalisme strict est impuissant à assurer, à lui seul, la création d’une œuvre durable. Si on le retrouve à la base de toutes, pour qu’elles s’élèvent et s'étendent il doit reculer et s’effacer devant d’autres nécessités aussi impérieuses.

Je me garderai d’en conclure qu’il suffise d’écrire en vers pour mériter le nom de poète. Il y a plus de véritable poésie dans telle page, dans telle ligne isolée de Renard, que dans les poèmes prétendus d’innombrables faux poètes modernes ou depuis longtemps défunts. C’est encore à propos de Tillier qu’il disait, parlant de sa sensibilité : " Elle est comme un de ces ruisseaux dont il parle avec des mots virgiliens. Apparente ou souterraine, elle traverse son œuvre d’un bout à l’autre, et elle entretient des îlots de verdure dans ses pamphlets les plus arides " .

Chez Renard, elle n’est pas ruisseau qui coule d’abondance : par méfiance d’ autrui et de lui-même, il ne dormait