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APPENDICE


livre inattendu et bienvenu, marqué de la rare estampille de la personnalité.

Dès les premières lignes un singulier être vivant apparaît, se lève de l’imprimé, reflète pensivement la pensée qui l'environne. Il est blême, taché de rousseur, avec des cheveux ardents, ou du moins on le suppose tel, car l’auteur est parcimonieux de descriptions. Mais on le voit à travers le surnom que sa famille lui a gracieusement infligé. C’est Poil-de-Carotte. Un enfant, mais un enfant qui sait déjà l'existence sans l'avoir apprise, puisque c’est savoir l'existence que de la subir sans la comprendre. La merveille, c’est d’avoir trouvé la formule de l’incompréhension et de fa passivité de Poil-de-Carotte. C’est naturellement une formule négative. L’enfant n’affirme rien, ne s'explique pas par des pensées et, des actes. On assiste à la mise en lumière de sa personnalité par la démonstration des sentiments des gens de ses en tours, son père, sa mère, son frère, sa sœur. On voit sa vraie nature par la défalcation de la fausse nature qu’on lui prête.

De même, c’est Poil-de-Carotte que l’on envoie " fermer les poules ". Sur sa réclamation qu’il a peur aussi, lui, les siens se récrient. " Pour l’encourager définitivement, sa mère lui promet une gifle ".

Quand il vient, aux vacances, il est accueilli par cette observation : " Comment, dit Mme Lepic, tu appelles encore Monsieur Lepic papa, à ton âge ? dis-lui : " Mon père ", et donne-lui une poignée de main, c’est plus viril. Quand il s’en va, il est escorté de ce galop : " Tiens, dit Mme Lepic, pour qui te prends-tu, pierrot ? Il t’en coûterait de m’appeler maman, comme tout le monde ? A-t-on jamais vu ? C’est encore blanc de bec et sale de nez et ça veut faire l’original ! " Et ainsi, dans les autres chapitres, tous différents et significatifs : La pioche, Les lapins, Le cauchemar, etc. Mme Lepic se révèle terrible de maternité, invente des punitions stupéfiantes, effare avec des mots tatillons et des perfidies inépuisables, l’âme candide de son enfant. Il est né timide, doux, rêvasseur. Il est décrié comme hardi, féroce, sournois. On lui invente un caractère et une attitude. M. Jules Renard écrit, dit-on, la vie de cet avorté moral, de ce terrorisé de l’affection. Ce sera, à en juger par ces prémisses, un curieux livre de sarcasme froid, de pitié cachée.

Dans les histoires qu’il met en scène, l'écrivain n’intervient pas ou intervient avec des précautions extrêmes qui donnent une valeur violente à la phrase la plus brève. Le dernier mot prononcé par Poil-de-Carotte est celui-ci : " Tout le monde ne peut pas être orphelin. " Dans les nouvelles qui suivent, les conclusions sont tout à fait absentes. Mais la vie parle haut dans Ciel de Lit, huit pages de psychophysiologie conjugale, la Mèche de cheveux, sifflante ironie anti-amoureuse, la Demande et Baucis et Philémon, une comédie et un drame de campagne. Le drame surtout, le partage entre le vieux