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JULES RENARD

C'est égal, il se défiait et préférait attendre ; et, après avoir tous regardé, à la ronde, longuement, l’image peinte, et, bien que, selon les deux sœurs, elle eût un faux air de Pierre alors soldat, ils l'avaient rendue, en garde contre les entraînements du cœur, les coups de tête et les dépenses qui ne servent à rien.

Enfin, Leroc ouvrit les yeux. Il paraissait soulagé. Mais la vue de Pierre le mit de nouveau en fureur.

Il lui cria :

— Va-t’en ! Sors d’ici !

Pierre s’en alla penaud.

— Ne te fâche pas, dit la Griotte ; tu vas te faire mal.

A son grand étonnement, Leroc ne sentait plus rien du tout.

En effet, comme on n’avait pas voulu la retirer, la balle s’était décidée à sortir toute seule. Leroc la trouva dans ses bandes défaites. Il la prit d’abord pour un noyau de quelque fruit : c’était bien une balle, un petit morceau de plomb informe, bosselé, enveloppé dans une couche de sang caillé. Pierre, rappelé, d’un coup de canif montra à découvert le brillant du plomb. Il voulait la remettre tout entière à neuf, mais la Griotte et les deux sœurs l’en empêchèrent, comme s’il allait accomplir un sacrilège. Il fut convenu qu’on garderait la balle sous verre, sur la commode, à côté du livre qui avait servi aux trois premières communions des enfants. En réalité, la balle, à peine entrée dans les chairs, était restée à fleur de peau et n’avait eu qu’à se laisser tomber. Mais, de l'avis de tous, le bras était troué de part en part. Leroc geignait encore pour la forme. Cependant, joyeux de se voir hors de danger, il dit à Pierre :