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JULES RENARD


sa douleur avec courage, il refusait les soins, surtout ceux de Pierre qu’il n’était pas loin de considérer comme son assassin. Les deux sœurs s’étaient levées et, blanches, grelottantes comme si on les eût trempées dans un seau de glace, tenaient, l’une, la chandelle vacillante, l’autre, des bandes de toile. Le médecin arriva. Il voulut tenter d’extraire la balle.

— Jamais de la vie, ça me ferait trop de mal ! Plus tard, vous reviendrez !

Le médecin dut laisser la balle tranquille.

— Mais, s’il revient, il nous comptera deux visites, dit la Griotte quand il fut parti.

Fréquemment repoussé, Pierre demeurait dans un coin, muet, tout à ses remords. Seule, la Griotte, marchant en chaussons, avait le droit de s’approcher du lit. Leroc eut la fièvre, délira et finit par s’endormir d’un sommeil agité. Parfois, il se débattait, rejetait les draps au pied du lit et mettait à nu ses jambes rugueuses et moussues comme de la vieille écorce. Les deux sœurs se courbaient alors sur leur ouvrage, de telle sorte qu’elles étaient obligées de tirer l’aiguille horizontalement de peur de s’éborgner. A tour de rôle, tous veillèrent Leroc, silencieux, superstitieusement frappes par la bizarrerie de l’accident, La Griotte réfléchissait en découpant de la charpie. Elle jugeait la conduite de Pierre avec plus d’indulgence. Peut-être bien, tout de même, qu’ils l’avaient traité par trop en enfant. Elle ne doutait pas que le malheur de Leroc ne fût une punition du bon Dieu, De son côté, Pierre, amolli, avait embrassé sa mère en lui promettant qu’il ne le ferait plus.

Elle hocha la tête sans rien dire. Ils guettaient